Jean-Marc Huissoud, Enseignant-chercheur à Grenoble École de Management
17 juillet 2010
Dans l’imaginaire de la Paix, le romantisme du XIXème a longtemps instauré dans la pensée occidentale l’idée que la paix se manifeste par le calme, le temps long, et l’oisiveté apparente de la méditation et de la contemplation. Calmes, les paysages bucoliques de Monet, les personnages du douanier Rousseau ou les figures de Manet. Le contraire bien sûr de la violence agitée de Guernica vu par Picasso, où de la mise en scène de la violence angoissée d’un Max Ernst. La guerre est agitation, soumission de l’homme à l’immédiateté de la survivance, à la nécessité du sacrifice dans l’intérêt collectif. La paix est reconquête de soi, attente du murissement des récoltes, moment de convivialité ensoleillé.
Des expressions comme « repos du guerrier » marquent bien cet imaginaire du retour à la paix comme retour au temps calme. Rien à voir en ce sens avec les scènes festives de la peinture hollandaise des XVIème / XVIIème. Là, la paix est un retour à la célébration de la vie dans son agitation naturelle : les récoltes qu’il faut se dépêcher de rentrer, les fêtes de village passablement agitée, la liesse comme célébration : le temps de la Paix est court. La guerre est le temps de l’impossibilité d’agir, le retrait apeuré face à un monde dangereux. La paix est un retour à l’ordre des choses et à l’enchaînement des tâches, qui est un temps collectif et collaboratif.
Ce point interroge sur un aspect parasite d’une réflexion sur la paix économique. Car le XXème siècle et son individualisme consumériste on fait naître le droit au temps pour soi, aux loisirs, bien plus d’ailleurs que le droit à l’oisiveté si l’on en croît le développement des vacances sportives ou bricoleuses[1]. Dès lors, aux méfaits collectifs du chaos imputable à un sentiment de nécessité de survie et de combat, dénoncé dans nombre d’entreprises, se superpose l’exigence de sanctuarisation de ce temps pour soi, qui contribue à générer une véritable guerre défensive des acteurs pour la sauvegarde de ce territoire temporel. Il est sans doute vrai également que l’intensité de cette exigence est proportionnelle à celle du discours managérial du sacrifice.
Quiconque s’interroge sur ce que pourrait être un climat pacifié dans une entreprise doit aussi prendre en compte ce facteur. Clausewitz soutient que la guerre est toujours déclarée par ceux qui se défendent. Dans certains cas, ce sont bien ceux qui s’en posent en victimes qui créent le sentiment de combat dans leur environnement social[2]. Il en résulte que le constat d’état de guerre économique fait dans une organisation particulière doit s’interroger tant sur la culture de compétition de l’entreprise vis-à-vis de l’extérieur que de son complexe de confrontation autour de la question du « temps pour soi » à l’intérieur de l’entreprise. Sans quoi le discours sur la Paix économique sera détourné, comme d’autres avant lui (les 35 heures par exemple), par ceux dont le jeu consiste à minimiser leur investissement et à optimiser leur droit au temps individuel, ou au contraire par ceux qui en feront une norme dont le non respect relèvera in fine de la faute professionnelle, ajoutant ainsi à la conflictualité en prétendant l’interdire.
Jean-Marc Huissoud
[1] La société moderne révèle d’ailleurs un renversement : le temps de loisir est le temps d’activité désordonnée et festive par opposition à la représentation du temps de travail comme moment de l’activité disciplinée et dirigée au sens quasi militaire du terme.
[2] Autrement dit, le climat de guerre économique relève-t-il de la contrainte exercée ? Ou de la résistance à la contrainte ? Ce qui pose la question du niveau de contrainte culturellement acceptable dans une société donnée. D’où l’importance de la valorisation sociale d’un individu libre de son temps (d’autant plus valorisé qu’il est à la fois supposé rare et un droit naturel revendicable par les individus) et de ses activités, image véhiculée par la publicité, notamment.