Contrairement aux compétences individuelles, les compétences collectives se développent peu dans les organisations. Ces dernières sont pourtant clés pour pacifier les relations entre organisations.
La paix économique est « une orientation pour laquelle une entreprise (…) créent de la richesse au profit du bien commun et de l’épanouissement de l’ensemble des parties prenantes dans le cadre plus vaste de leur responsabilité sociale et humaine » selon Dominique Steiler. I
Les transformations organisationnelles, notamment induites par la loi Pacte en France, découlent tant de l’évolution des objectifs (voire des missions) des entreprises que de celle des moyens mis en œuvre pour contribuer à l’atteinte de ces derniers. Elles requièrent une évolution importante des compétences des entreprises et amènent à repenser la place de ces dernières dans la société.
Les compétences individuelles y sont, généralement, bien appréhendées et développées. Les compétences collectives, mobilisées en interne lorsque l’on collabore avec des collègues ou en contexte interorganisationnel lorsque l’on coopère avec des concurrents, des clients ou des fournisseurs, demeurent trop souvent délaissées ou oubliées.
Pourtant, la mutation des compétences individuelles occasionnée par la loi Pacte, bien que nécessaire, s’avère insuffisante, voire vouée à l’échec, si une profonde réflexion sur les transformations organisationnelles ne l’accompagne pas.
Le rôle clé des compétences émotionnelles
Les transformations organisationnelles s’appuyant sur l’émergence de nouvelles solutions technologiques (robotisation, numérisation, digitalisation) reposent avant tout sur une évolution des compétences humaines.
Plus précisément, les compétences relationnelles et émotionnelles apparaissent comme de plus en plus indispensables à l’heure où la collaboration à l’intérieur de l’organisation, mais aussi entre cette dernière et ses partenaires extérieurs, s’impose comme l’une des principales clés de succès.
Bien sûr des exemples de plus en plus nombreux montrent que le curseur de la collaboration est parfois poussé un peu trop loin. Des cas de burn-out collaboratif apparaissent, témoignant de l’importance du bon équilibre entre travail individuel et collectif.
Mais de la start-up à la très grande entreprise, le sens de l’histoire est bien celui qui consiste à s’appuyer de plus en plus sur le développement des compétences dites sociales des personnes, notamment les compétences émotionnelles. Ces dernières sont celles qui supportent la collaboration, rares étant désormais les tâches et activités pouvant être exercées seules, sans contribution de plusieurs collègues et/ou partenaires.
Des organisations « florissantes » reposant sur davantage d’autonomie
Si les compétences individuelles, grâce à la formation et aux nouvelles expériences vécues, progressent et accompagnent les changements, les compétences collectives, notamment organisationnelles, s’avèrent souvent plus difficiles à faire évoluer.
Ces dernières reposent sur la collaboration en interne et une vision plus transversale de la performance. Les références théoriques ne manquent pourtant pas pour donner de bonnes idées et des exemples concrets de pratiques vertueuses. Des organisations au fonctionnement original sont ainsi régulièrement qualifiées de « libérées », « nutritives » ou « florissantes ».
Elles se caractérisent par ces points communs essentiels : davantage d’autonomie et de liberté données au salarié pour une contribution élargie, reposant pour l’essentiel sur ce qu’il est possible d’appeler le « dépassement de fonction », aux performances de l’organisation.
Si le management suit, dans un souci de cohérence, devenant plus participatif, bienveillant, voire « slow », les conditions peuvent être réunies pour casser les silos qui caractérisent encore trop souvent nos organisations, publiques ou privées, petites ou grandes. Mais c’est précisément à cet endroit que le bât blesse. La difficile montée en maturité organisationnelle freine les transformations que les évolutions des compétences individuelles rendraient possibles.
Soigner ses fournisseurs et rendre son écosystème plus résilient
Que dire alors des compétences interorganisationnelles, qui permettent de mieux travailler ensemble ? Et bien que c’est peut-être là que se trouve un levier non négligeable de réussite de la transformation des organisations. C’est notamment l’une des retombées indirectes, sorte de bénéfice induit, de la démarche visant à mieux collaborer avec ses fournisseurs ou, plus généralement, ses partenaires extérieurs.
Elle contribue en effet, et sans effort démesuré, à instaurer une culture de collaboration plus forte en interne chez chacun des partenaires. Si la collaboration en interne facilite la collaboration avec les partenaires extérieurs et rend possible un véritable « management des ressources externes » (le nouveau nom que l’on donne, de plus en plus, à la fonction achats), l’inverse, et de nombreux travaux récents le montrent, est également vrai.
Il s’agit même de l’un des principaux bénéfices induits par la mise en œuvre de véritables relations collaboratives et responsables avec les fournisseurs. De Tefal, qui pratique avec ses fournisseurs le mécénat de compétence, à Armor-Lux qui a su développer une culture collaborative forte entre ses fournisseurs étrangers et les usines situées en France pour gagner en agilité, en passant par le groupe Safran dont les multiples innovations s’appuient essentiellement sur la qualité croissante des échanges entre les différents services en interne et les fournisseurs, nombreux sont les exemples de diffusion de bonnes pratiques de collaboration en interne lorsque celles-ci sont initiées avec les fournisseurs.
Une paix économique aux nombreuses vertus
Tout le monde a donc décidément bien tout à gagner à œuvrer en faveur de relations inter-entreprises pacifiées et plus harmonieuses : les donneurs d’ordres (si on continue à les appeler ainsi malgré le caractère de moins en moins pertinent de l’appellation), mais aussi évidemment leurs fournisseurs et, par extension, l’ensemble de l’écosystème économique.
Le groupe ARaymond, leader mondial de la fixation pour l’industrie, Schmidt Groupe, qui fabrique et commerciale des meubles, ou Outilacier, distributeur responsable de matériel et outillage pour les entreprises, contribuent ainsi, chacun à leur manière à renforcer la résilience de leur écosystème économique en tirant bénéfice de la qualité des relations avec leurs fournisseurs.
La paix économique ainsi promue ne cesse de voir ses multiples intérêts cachés apparaître au grand jour et se trouver validés par des pratiques vertueuses aux retombées renforcées. Outre une meilleure capacité à innover ensemble (entre organisations), elle contribue en effet à une meilleure résilience de l’écosystème et de ses membres et permet aux personnes de travailler dans une sérénité propice au développement des compétences.
Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)
cover image : mageFlow / Shutterstock
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.