À l’heure où les systèmes de coopération interétatiques s’enfoncent dans la crise, de nouvelles formes de coopération voient le jour pour répondre aux grands défis actuels.
Les échanges internationaux connaissent actuellement un ralentissement très important qui amène à remettre en cause le phénomène de mondialisation. Bien que les chaînes de valeur de la plupart des produits n’aient jamais été aussi imbriquées et éclatées à l’échelle mondiale, la période qui s’ouvre se caractérise, et ce sera sans doute le cas pour plusieurs années, par un véritable repli national. Perçue comme étant à l’origine de nos problèmes les plus divers (hausse des inégalités, réchauffement climatique…), la mondialisation est également porteuse de réelles vertus, notamment en constituant l’une des briques essentielles de la paix lorsqu’elle prend la forme du « doux commerce » cher à Montesquieu.
Une véritable crise du multilatéralisme
Visant clairement à pacifier des relations internationales trop souvent conflictuelles et débouchant sur la guerre, le multilatéralisme est un mode d’organisation des relations interétatiques qui repose sur la coopération et l’instauration de règles communes. Aujourd’hui clairement remis en cause dans des pays émergents comme le Brésil, mais aussi et surtout par l’administration Trump, le multilatéralisme est en péril. Il avait pourtant permis, et c’est de loin sa contribution la plus importante, de maintenir la paix, notamment en Europe, région du monde où elle était loin d’être habituelle. C’est ce que rappelait récemment le philosophe Michel Serres en évoquant les « soixante-dix paisibles » pour qualifier la dernière période de paix (relative) vécue en Europe.
Il est, de ce point de vue, révélateur de constater que les avancées les plus significatives du dernier G20 d’Osaka en juin aient concerné les dossiers bilatéraux alors qu’aucune solution n’a été trouvée pour permettre de pérenniser le fonctionnement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont le tribunal est toujours bloqué par les États-Unis qui empêchent la nomination de nouveaux juges.
La réduction des échanges mondiaux ne constitue pas forcément une mauvaise nouvelle. En faisant reculer le commerce de concurrence (celui qui consiste à importer et à exporter des produits de même nature) plus que le commerce de complémentarité (celui qui vise des produits n’étant pas fabriqués par les importateurs), elle diminue l’impact environnemental des transports sans forcément priver les consommateurs des produits non fabriqués sur leur territoire national.
Certains entrevoient même un possible renouveau des politiques industrielles. Les effets des possibles mouvements de réindustrialisation auraient ainsi des effets bénéfiques sur les plans économiques, sociaux et environnementaux.
De nouvelles formes de coopération
Toutefois, la crise du multilatéralisme risque de compliquer la résolution de ces problèmes liés au climat ou à la biodiversité. C’est en effet à l’heure où nous aurions le plus besoin d’engagements et d’actions mis en œuvre collectivement, et le plus globalement possible, que la coordination internationale fait le plus défaut. Fort heureusement, c’est précisément sur ce dernier terrain que de nouvelles initiatives voient le jour.
Celles-ci impliquent des pouvoirs publics, des organisations internationales, des ONG, des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs. Elles prennent donc la forme de coalitions hétéroclites d’acteurs qui prennent leurs responsabilités en trouvant dans le collectif la possibilité de renforcer leurs contributions individuelles. Citons par exemple le cas du géant de l’agroalimentaire Danone et du réseau BSR (Business for Social Responsibility) qui ont lancé fin 2018 la plate-forme « Business for Inclusive Growth » (B4IG) « dans le but d’accélérer le processus d’action contre les inégalités et en faveur de l’inclusion ». À plus petite échelle, l’initiative « Les bons clics » réunit une entreprise de l’Économie sociale et solidaire (ESS), une start-up, trois associations qui œuvrent pour l’insertion sociale, et un réseau d’associations locales pour lutter contre l’exclusion numérique.
À l’heure où elles s’interrogent sur le sens et où elles redéfinissent leurs missions, de nombreuses entreprises ont l’occasion de dépasser, dans l’intérêt de tous, leur stricte vocation économique. Une telle évolution plaiderait en faveur de la vision proposée par l’économiste Éloi Laurent dans son dernier ouvrage « L’impasse collaborative », mettant la coopération entre acteurs divers au cœur des évolutions souhaitables et en cours de la société.
Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
La coopération entre acteurs divers, nouvelle réponse aux défis contemporains ? REDPIXEL.PL / Shutterstock