Sujet à controverses, l’entretien d’évaluation annuel s’apparente trop souvent à un jeu de dupe, qui pourrait se résumer ainsi : « dis-moi ce que tu as fait, je te dirai qui tu es ! » Comment faire de l’entretien d’évaluation un exercice à valeur ajoutée, pour le manager et son collaborateur, qui dépasse la seule mesure de la performance… au vu d’objectifs purement chiffrés ?
Qualifié fréquemment d’inutile et de chronophage, l’entretien d’évaluation peut surtout s’avérer contre-productif. « Une « mauvaise évaluation » conduit au désengagement, au dépit, voire à la déprime et au burn-out, en particulier pour les collaborateurs les plus investis, » prévient Isabelle Né enseignante-chercheur de la chaire à Grenoble Ecole de Management, spécialiste des comportements dans les organisations et des risques psychosociaux.
Si l’entretien d’évaluation mesure la performance au travail en termes de stricte « efficacité », ou d’objectifs à atteindre, alors les résultats des entretiens d’évaluation risquent de catégoriser les individus entre compétents et incompétents. Alors même que l’outil d’évaluation devrait nourrir une démarche d’amélioration prospective – puisqu’il s’intègre à la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), via une approche collaborative et surtout contextualisée.
Isabelle Né nous propose cinq points d’ancrage, à partir desquels changer la donne.
Travail réel versus travail prescrit
La forme que prend l’entretien d’évaluation est importante. « Certes, le droit français parle de « lien de subordination » inhérent au contrat de travail et à une position effective d’être « sous la responsabilité de », mais ce rapport d’infantilisation n’est pas acceptable entre deux adultes, lors d’un entretien d’évaluation, car il pose aussi la question de la légitimité de l’évaluateur à pouvoir juger d’un travail que parfois il ne fait pas et ne connaît pas. Cette notion rejoint les concepts du travail prescrit versus celui du travail réel, dixit Christophe Déjours (2003 ; Laugérie, 2015), c’est-à-dire, comment les individus s’approprient un travail, en en dépassant les prescriptions, puisque ce travail participe à leur identité, » note Isabelle Né.
L’enjeu de « l’ici et maintenant »
Pour l’évaluateur, comme pour le collaborateur, « être présent » (psychiquement) à l’évaluation est essentiel. « Le principe de « l’ici et maintenant », cher à la pleine conscience, permet de moins être influencé par les variables extérieures et intérieures durant ce moment précis, souligne Isabelle Né. L’objectif ? Observer et accepter l’évaluation, et en devenir l’acteur… plutôt que de la subir.
Pour être présent à l’évaluation, le travail de distanciation face à ses émotions, par la communication non violente, l’écoute itérative (accepter la remise en cause), l’intelligence émotionnelle sont la clé de voûte d’une démarche de réflexion. Même s’il faudrait y passer « plus » de temps, diffusé le long de l’année.
Le travail s’élabore en coopération
Il est difficile de parler « travail » en face à face avec un individu, alors que le travail s’élabore en collaboration au sein des entreprises. « L’individualisation des évaluations peut créer de la concurrence plutôt que la coopération attendue. Si l’on évalue un groupe, il existera de fait une collaboration. » D’où l’enjeu de l’évaluation collective, en temps réel. « Il est en effet fondamental de relever les dysfonctionnements (souvent organisationnels), et de noter les succès au temps « T » : au moment où les dysfonctionnements et les succès se produisent… Et non d’attendre l’entretien annuel. »
Dans cette logique, lors de l’évaluation, il est essentiel de penser « efficience », (et non efficacité), c’est-à-dire d’intégrer les conditions dans lesquelles se trouvent les individus qui accomplissent, plus ou moins facilement, leurs tâches. La relation au client, l’environnement concurrentiel, et même les difficultés personnelles… doivent être intégrés à l’entretien d’évaluation pour contextualiser les résultats obtenus.
Sortir du schéma Tayloriste.
Aujourd’hui, le manager doit être celui qui crée du lien. « Le manager doit se positionner comme un « servant leader », un accompagnateur, un facilitateur… et non systématiquement en contrôleur. Le renversement des rôles est déterminant, quitte à toucher au sacro-saint statut de « supérieur », insiste Isabelle Né. A ce titre, l’humilité des jeunes managers face à des collaborateurs qui comptent 20 ans de présence dans l’entreprise, est essentielle. D’ailleurs, certains managers, nommés par népotisme, peuvent se sentir menacés. Dans ce cas, si le rôle du manager dépasse le contrôle, le manager peut retrouver sa légitimité (Fayol, 1916). »
La « valence », cœur du processus d’évaluation ?
Pour ne plus être confronté au manque de temps, à un dialogue de sourd, à des niveaux d’attente qui diffèrent entre l’évaluateur et le collaborateur, la notion de « valence » doit être placée au cœur du processus d’évaluation. Cette situation me convient-elle ? Dans la négative, en quoi, puis-je l’améliorer ? « En psychologie des émotions, on sait que tout ce que l’on vit, analyse, perçoit, prend comme décision… se situe à un certain degré de « valence » ; soit, la qualité intrinsèquement agréable ou désagréable d’un stimulus ou d’une situation, (Damasio, 2017). Lors d’un entretien d’évaluation, les émotions humaines sont omniprésentes. C’est pourquoi, pour être constructif, un entretien d’évaluation devrait être présidé par le souci de bien-être et de bienveillance de l’évaluateur et du collaborateur.
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