La bienveillance, une valeur politique ?

Dominique Steiler - The Conversation

Georges Gobet AFPLa bienveillance permet de travailler sur le bien-être des personnes et des relations. Georges Gobet/AFP

« Si tu fais réellement partie de l’élite, prends garde à la manière dont tu obtiens le pouvoir. »
(Constantin Kavafis, « En attendant les barbares »)

Cette citation du poète grec introduit à mes yeux la notion d’élite et laisse entrevoir une place possible pour la bienveillance.

J’ai longtemps trouvé détestable ce vocable d’élite, surtout quand il induit une confusion entre l’excellence dans un domaine (que seuls les actes permettent de prouver), et l’attribution d’une sorte de valeur absolue et de privilèges chez ceux qui s’en parent. Je ne l’aimais pas non plus, en qualité de pilote de chasse de l’aéronavale, quand il m’était imposé et que par là même, il m’éloignait des autres au lieu de m’en rapprocher. Je ne supporte toujours pas ce que beaucoup en font, mais j’accepte cependant la nécessité de ce qu’une élite représente, car j’en conçois mieux les rôles et les devoirs : savoir protéger et prendre soin (rôle d’escorte), guider et soutenir (rôle de protecteur), accomplir et être responsable (rôle de leader), et enfin, éduquer et mettre en action les grandes valeurs humaines (rôle de passeur) au service du bien commun.

Je paraphrase Gaston Bachelard en prétendant qu’il faut remettre la politique au service de la société et pas l’inverse, ne pas favoriser l’opposition des uns contre les autres quand le but consiste à encourager l’art de la rencontre et du travail commun. Que le débat d’idée existe, que les désaccords s’expriment et s’affrontent, mais dans l’intention de renforcer le tissu social et non de l’affaiblir. Je rejoins aussi Albert Jacquard quand il s’opposait, sur la RTBF, à l’invasion de la compétition dans les écoles et particulièrement dans la sélection des élites.

Il y déplorait notre tendance à valoriser constamment les personnes les plus conformes, donc celles qui ont le plus de mal à proposer des solutions créatives face aux changements à venir. Albert Jacquart exprimait aussi son profond désarroi face à l’idée que l’on puisse faire de l’école un lieu où les élèves sont en compétition les uns contre les autres. Si la compétition destructrice s’installe, nous ne pouvons plus tisser de liens ni créer un esprit de corps.

La formation des leaders

L’un des rôles des écoles de management ou d’ingénieurs et des universités consiste à former des leaders capables de ne pas céder face aux sirènes de la facilité ou de l’argent. Elles forment une élite, certes, mais qui doit présenter un courage particulier, celui de ne pas désespérer de notre humanité et d’agir en accord, avec bienveillance. Aller droit au cœur sans perdre de temps et être tonitruant quand il s’agit de protéger la dignité et le bien commun.

Pour cela, les écoles ont le devoir de repenser leur fonctionnement, de la sélection à l’évaluation en passant par les contenus enseignés. À la différence des matières techniques, les dimensions humaines sont difficilement transmissibles. Elles ne peuvent qu’être présentées, dessinées, comme on propose à quelqu’un de choisir une voie à suivre. Si l’on n’en fait pas des instruments directement assujettis à la performance, mais des chemins de découverte, la coopération, le partage tout comme la bonté, la bienveillance ou le courage peuvent devenir des axes majeurs de l’éducation de nos futurs leaders. Dans un discours de 2016 à l’Université Rutgers, Barack Obama disait ainsi aux diplômés de l’année :

« L’ignorance n’est pas une vertu… [mais] les qualités comme la bienveillance, la compassion, l’honnêteté… comptent souvent bien plus que les savoirs techniques. »

La bienveillance de Monsieur Macron

Ces mêmes qualités ont été souvent évoquées lors de la dernière campagne présidentielle en France et c’est a minima le signe qu’elles sont attendues, voire réclamées par la population. Messieurs Hamon et Macron ont particulièrement évoqué la bienveillance :

« J’ai toujours cultivé la bienveillance, avec l’espoir secret, chevillé au corps, que ce soit contagieux. Je crois que ça se propage et je suis très heureux de ça. »

ou encore

« Depuis 18 mois, j’ai une règle de vie, pour les femmes et pour les hommes, comme pour les structures, c’est la bienveillance. Donc je n’ai pas besoin, pour exister, de dire du mal des autres. »

Alors bien sûr, comme c’est souvent le cas quand il s’agit de faire valoir plus de douceur que de force brute dans le monde politique ou économique, les vieilles croyances sont ressorties. Basées sur une vision machiste, blanche, occidentale et très conservatrice du monde, elles sont jugeantes et ne laissent aucune place au doute, à l’humanité ou au paradoxe :

« En politique, la bienveillance n’est qu’une posture » ironisait M.Dagnaud, ajoutant « Cet hymne à la bienveillance enrobe de fumée des comportements politiques à vif, où la rivalité couve et perce à la moindre occasion. À un an de la présidentielle, dans chaque camp, tout leader se dresse comme un ennemi potentiel de l’autre. »

Ce reproche revient à chaque fois qu’un leader tente de faire valoir sa foi en l’humanité. Pourtant la bienveillance, étudiée scientifiquement, est l’un des axes comportementaux qui permettent de travailler sur le bien-être des personnes et des relations, dont découleront une performance durable et la possibilité de concevoir, enfin, une part qualitative à notre croissance. Elle est une mise en acte des valeurs que nous chérissons tant et qui restent bien trop souvent des vœux pieux accrochés aux murs des entreprises ou résumés par trois mots aux frontons de nos bâtiments publics.

Changer de point de vue

Par une pensée encore binaire et dichotomique, on confond trop souvent e exemplarité avec exemplarisme et on imagine que les actes de bienveillance sont le fait soit des êtres naïfs et trop sensibles soit de vils manipulateurs. Ainsi, Yves Michaud la combat dans son livre Contre la bienveillance en raison de l’illusion qu’elle peut créer dans de nombreux pays démocratiques :

« On veut croire en un monde où toutes les idées sont acceptables… où les bonnes volontés finissent toujours par s’entendre… Cette fausse bienveillance alimente chez chaque citoyen une colère intérieure… elle engendre, chez les citoyens, un repli sur les liens affinitaires de tous ordres… »

Stimulée par l’égoïsme, la raison peut sans aucun doute détourner les meilleures intentions à des fins déplorables de manipulation, d’exploitation et d’opportunisme sans merci : c’est ce que cet essai dénonce. Mais il instille aussi de manière pernicieuse la croyance erronée que chacun de nos actes est par nature égocentré et au détriment d’autrui. Nous avons ce pouvoir au contraire d’être aussi doux que possible… et aussi ferme que nécessaire, mais cela demande discernement et courage.

C’est justement pour cela que la bienveillance est nécessaire : combinée à la voix de la raison, elle peut faire progresser sans aucun doute notre engagement à contribuer au bien commun et nous amener à considérer autrui comme sacré avant toute autre forme de jugement ou de considération.

Enfin, on oublie trop souvent ce que les comportements bienveillants demandent d’implication, de discipline, d’attention à l’autre et de capacité à prendre un risque : celui de s’être trompé. Dans notre approche de la paix économique, la pleine conscience, combinée à la posture de celui qui sait se mettre « au service de » aident à trancher avec discernement entre l’action nourricière et l’intention destructrice.

Il n’est pas question de s’illusionner en ingérant la boîte entière de pilules sans lire la notice, mais de comprendre que nous avons en nous les vertus salutogènes nécessaires pour plus d’hygiène démocratique.

The ConversationVous n’êtes pas convaincus ? Mais avez-vous essayé, vraiment ?

Dominique Steiler, Titualire de la chaire Mindfulness, Bien-être au travail et paix économique, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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