Hugues Poissonnier et Pierre-Yves Sanséau - The Convesation
Pierre-Yves Sanséau, Grenoble École de Management (GEM) et Hugues Poissonnier, Grenoble École de Management (GEM)
En suivant notre précédente chronique consacrée au travail et à un certain pessimisme professionnel à la française, allons un peu plus loin et intéressons-nous aux actes de management et plus particulièrement ceux liés à la gestion des ressources humaines.
Du bureau du personnel à la GRH
Tout d’abord, faisons un constat : la GRH n’est pas connotée positivement dans le discours de l’entreprise et des salariés français. Il semble tout d’abord qu’elle soit restée associée à une certaine idée de la « gestion du personnel », du « bureau du personnel » qui ont connu leurs heures de gloire dans les années 1960 et 1970. Embauche, paye, licenciement, voilà à quoi se résumaient des actes bien plus administratifs que managériaux.
Héritée d’une conception industrielle taylorienne-fordienne, la vision du personnel était celle d’un mal nécessaire, un prolongement de la machine qu’il convenait de traiter comme un coût, une charge et non une ressource. Les ressources étaient alors le capital, les matières premières, les équipements et les machines. D’ailleurs, l’individu au travail était avant tout considéré comme le prolongement de la machine, pour effectuer ce que la machine ne pouvait pas encore faire. Et pourtant… nous sommes passés d’une gestion du « personnel » à une gestion des « ressources humaines », positionnant ainsi l’humain comme une ressource première pour l’entreprise.
Cette approche, visible depuis les années 1990, part du présupposé, que si l’individu au travail est une ressource, il convient d’une part de la considérer comme telle, mais également de la développer, de la renforcer et qu’elle se trouve à l’équilibre dans un contexte professionnel. On en arrive même à parler aujourd’hui de bien-être au travail, ce qui est un brin optimiste pour certains, pointant du doigt le fait que chacun est maître de son équilibre, à la croisée entre vies familiale, professionnelle et sociale.
Pourtant, malgré ces changements a priori très positifs dans le désormais « Management » des RH, le pessimisme est souvent au rendez-vous.
Du côté des managers et encadrants des grandes organisations, ce nouveau rôle attribué de « Premier RH », s’il est valorisant peut être mal perçu et mal vécu. En effet, ces managers ont parfois le sentiment que désormais tout leur incombe : déclinaison de la stratégie d’entreprise, fixation des objectifs, responsabilité par rapport à l’atteinte des objectifs, fourniture des moyens, organisation du travail et maintenant attribution de nombreuses prérogatives de GRH. Le manager doit piloter les recrutements, les entretiens de progrès, les évaluations, gérer la formation, développer l’employabilité des membres de son équipe, etc.
La charge de travail et les responsabilités qui lui incombent ne cessent de grossir. Certes la fonction managériale est enrichie, plus proche de l’humain mais les moyens et le contexte n’y seraient pas. Et puis, ils se rendent vite compte que cette nouvelle approche des RH doit rendre des comptes, dont ils sont également porteurs et responsables. Cartographie des actions, suivi des processus, calculs des retours sur investissement, la dimension contrôle revient au pas de charge dans des entreprises marquées historiquement au fer de la domination et du contrôle.
Du côté des salariés, ces nouvelles approches de management des RH comportent des aspects positifs et des bénéfices potentiels.
Pourtant, les baromètres sociaux des entreprises sont au rouge-orange. Peur du lendemain, plafond de verre auquel on se heurte car on est une femme ou parce que les diplômes obtenus ne sont plus suffisants, compétences détenues non valorisées, moral en berne des salariés aux cadres… les unes des revues spécialisées en management et en RH ne cessent d’égrener une litanie bien connue désormais.
L’entreprise est un lieu de plus en plus contraignant, le travail s’accélère, s’intensifie et se densifie, les objectifs ne cessent de croître sans moyens ni ressources complémentaires. Les nouvelles approches managériales et les nouveaux outils RH sont considérés par certains comme un piège, car avançant masqués sous couvert de dimension humaine, mais bien plus destructeurs à terme. En témoignent les vagues de suicide en entreprise, la souffrance au travail, l’épuisement professionnel et les burn out de plus en plus nombreux.
Pour les bases d’un management suscitant l’optimisme
Dans la réalité et le quotidien de l’entreprise française, management et optimisme vont trop rarement de pair. Pourtant les exemples des entreprises qui cultivent l’optimisme sont probants : cela est possible et cela marche ! L’exemple de Techné en est un, d’autres nous montrent la voie…
L’environnement professionnel joue incontestablement un rôle essentiel vis-à-vis de l’optimisme des salariés. De nombreuses études se sont focalisées sur les relations entre cet environnement et le sentiment de bonheur ou de bien-être au travail. L’institut Gallup identifie cinq facteurs essentiels et propose même un questionnaire permettant à chacun de faire sa propre évaluation. Ces cinq facteurs sont les suivants :
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L’ambiance de travail (qui reflète essentiellement la qualité des échanges avec les collègues et les supérieurs hiérarchiques)
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Le sentiment d’utilité et d’efficacité personnelles dans son métier
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L’intérêt porté à son travail (qui intègre le sentiment de progresser et d’apprendre au quotidien)
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L’autonomie (sans doute l’élément le plus discutable, les attentes pouvant être bien diverses sur ce point en fonction des cultures)
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Le sentiment de justice et la reconnaissance reçue.
Le modèle PERMA de Seligman souligne l’importance de la dimension relationnelle (ambiance, reconnaissance, etc.). Il insiste sur les éléments suivants :
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Le P de émotions positives
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Le E de engagement
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Le R de relations positives
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Le M de meaning en anglais, témoignant de l’importance du sens
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Le A de accomplissement.
Conscients des impacts sur les performances de leurs salariés, de nombreux dirigeants investissent dans des programmes destinés à favoriser le bien-être de leurs salariés. La démarche est souvent utilitariste et prend alors racine dans les études témoignant de l’existence d’une relation de cause à effet entre bien-être au travail et performance. Elle dépasse parfois cette vision pour permettre au dirigeant de déployer un management plus cohérent avec ses propres valeurs. Quoi qu’il en soit, une clé importante de succès de ces démarches réside dans les véritables changements organisationnels qui sont opérés. Trop souvent, des mesures ponctuelles sont prises comme la mise à disposition d’une salle de relaxation qui risque d’être peu fréquentée si le management ne change pas véritablement. Une constante de ce point de vue : consacrer moins de temps au contrôle et à l’application des règles et procédures mais davantage au véritable accompagnement des salariés.
L’optimisme au travail semble également directement lié à l’utilisation des bons leviers de motivation. Dépassons bien sûr ici la conception de l’Homo œconomicus qui fait de l’individu au travail quelqu’un qui serait mû uniquement par la rétribution financière perçue à la fin du mois. À côté de cette motivation extrinsèque, une réelle motivation intrinsèque existe.
Elle tient au plaisir de réaliser le travail en lui-même. Longtemps les managers, après avoir reconnu l’existence de ces deux formes de motivation au travail, ont considéré que ces derniers étaient cumulables. Les derniers travaux sur le sujet montrent que, dans bien des cas, la motivation extrinsèque peut, si elle n’est pas adaptée, détruire la motivation intrinsèque et dégrader durablement l’optimisme des salariés.
Le sens, nouvelle clé de motivation
Au-delà des conclusions des dernières recherches sur la motivation, le principe de réalité est le premier à plaider en faveur d’un management qui serait davantage porteur de sens. L’argent ou les perspectives de carrière étant plus difficiles à offrir (compte tenu de leur rareté), la motivation doit reposer sur d’autres leviers.
Les salariés eux-mêmes formulent d’ailleurs de nouvelles attentes, ou plus précisément des attentes à la hiérarchie bouleversée. L’argent n’arrive plus en tête. La justice, l’autonomie ou le bien-être au travail deviennent les priorités des salariés et les meilleurs leviers de motivation pour les managers.
La bienveillance dans le management
La Ligue des optimistes de Suisse témoigne de l’importance de la bienveillance du management pour renforcer l’optimisme au travail. Plusieurs entreprises ont su reprendre cette idée à leur compte en mettant en place des actions très concrètes :
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Participation des salariés à l’aménagement de leurs nouveaux bureaux comme chez Bord de mer Communication ;
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Mise à disposition de salles de repos, d’espaces de fitness et proposition de cours de gym et de massages chez Générali ou Voyageurs du Monde ;
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Organisation de conférences sur le sommeil par Malakoff Mederic
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Formations à la cohérence cardiaque et négociation de remboursement par la mutuelle de séances chez le nutritionniste chez Pepsico.
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Formation en e-learning à repérer les seuils d’alerte du stress chez Malakoff Mederic
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Redistribution de 25 % du résultat net sur un plan d’épargne salariale, quel que soit le niveau d’ancienneté du salarié chez Human & Partners…
Pierre-Yves Sanséau, Professeur de Gestion des Ressources Humaines, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-être au travail et Paix Economique à Grenoble Ecole de Management, Grenoble École de Management (GEM) et Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.